Il était une fois un tout petit syndicat, qui s’appelait CNT Interpro Normandie... Et qui a constitué une liste pour se présenter aux élections professionnelles de la Fonction publique du 6 décembre 2018. Un parcours et des embûches à lire ci-après.

Nota pour la compréhension de l’histoire qui suit : les élections professionnelles pour l’ensemble de la fonction publique ont lieu le 6 décembre prochain. 5,2 millions d’agent·es public·ques sont appelé·es à voter pour choisir leurs représentant·es du personnel siégeant dans les organismes consultatifs de la fonction publique (comité technique, commission consultative paritaire, commission administrative paritaire) pour un mandat d’une durée de 4 ans. Dans le cadre du renouvellement général des instances, seront également renouvelés les mandats des représentants des CHSCT ainsi que des conseils supérieurs (fonction publique d’État, hospitalière, territoriale et Conseil Commun de la Fonction Publique). Cette histoire a été rédigée par nos camarades de Normandie et est reprise ici sur le site du SUB RP.

Il était une fois un tout petit syndicat, qui s’appelait "CNT Interpro Normandie"...

Il naquit un jour de mars 2018, et fut accueilli à la Direction Départementale des Territoires (DDT) de l’Orne [1] quelques mois plus tard...

Comme les vilains petits canards de ce syndicat étaient très gentils (malgré la mauvaise réputation qu’essayaient de leur coller certains coqs de basse-cour), iels décidèrent de se présenter aux élections du comité technique, cela dans le seul but de mieux informer les agent·es de ce qui s’y trame.

Voici un résumé des "événements" qui suivirent :

  • jeudi 25 octobre 2018 : la CNT dépose sa candidature. La liste déposée comporte 8 noms : 3 syndiqué·es CNT et 5 agent·es qui soutiennent le syndicat dans cette démarche. Pour cette élection, ce sont donc 3 syndicats qui présentent leur candidature : la CFDT, la CNT et l’UNSA.
  • vendredi 26 octobre : après avoir plusieurs échanges avec les services du Premier Ministre et de la Direction de la Fonction Publique, le secrétariat général nous notifie la non recevabilité de la candidature CNT par un courriel envoyé à 19h.

Les délais de recours ne sont pas précisés dans la décision (ce qui est illégal), mais les textes réglementaires nous apprennent que nous avons "3 jours francs" pour contester cette décision au Tribunal Administratif. Comme nous sommes tout petit, sans moyens et donc sans avocat, nous passons le week-end à rédiger un recours du mieux que nous le pouvons.

Le motif du refus de notre candidature ? Nous ne sommes pas un "syndicat de fonctionnaires"... Et plus exactement, nous n’avons pas pour but de défendre "exclusivement" les fonctionnaires.

C’est un motif bien curieux, puisque de nombreux syndicats aux statuts semblables aux nôtres ont pu se présenter par le passé (et encore actuellement) aux élections professionnelles [2] Il s’agit donc manifestement d’une décision politique, qui constitue à notre connaissance une première : il fallait empêcher la candidature – ô combien dangereuse ! – d’un tout petit syndicat dans une petite direction interministérielle de province... Pourquoi un tel traitement particulier ? En quoi notre démarche peut-elle bien déranger, alors qu’elle est passée comme une lettre à la poste pour nos camarades d’Île-de-France ? Mystère...

Soyons honnêtes : localement, la direction et le secrétariat général ne nous ont jamais montré d’hostilité, bien au contraire. Dès que nous l’avons demandé, nous avons obtenu les moyens syndicaux (adresse de messagerie, rubrique intranet, affichage, participation aux réunions...) et concernant la participation aux élections, nous avons toujours été tenus au courant de l’évolution de la situation... C’est donc "en haut lieu" que certaines personnes ont jugé utile de créer un précédent pour nous barrer la route. Et cela est particulièrement ridicule, lorsque l’on sait que notre intention est bien modeste : obtenir un petit siège pour être présent en comité technique, sans vouloir faire d’ombre à qui que ce soit...

Revenons à ce dernier week-end d’octobre. Sur le fond, nous sommes donc certains d’avoir raison : l’administration centrale a bien galéré pour nous sortir un prétexte fallacieux au dernier moment, en comptant sans doute sur le fait que nous ne ferions pas de recours. Notre défense tient en plusieurs points [3] : > sur la forme : délais de recours non notifiés dans la décision, décision notifiée trop tardivement, décision non motivée (le motif invoqué est une simple citation de jurisprudence concernant un cas très différent du nôtre) ; > sur le fond : l’atteinte au principe d’égalité (d’autres syndicats se trouvant dans notre situation ont pu se présenter), l’interprétation erronée de la loi par l’administration (il est absurde de n’accepter que les syndicats défendant exclusivement les fonctionnaires pour l’élection d’un comité technique qui concerne tout autant les agents non titulaires), le manquement à l’obligation de loyauté de l’administration (le motif invoqué a évolué entre les échanges informels et la décision finalement notifiée), l’atteinte au principe de libre organisation des syndicats (la CNT a décidé de défendre les travailleur·ses de tous statuts, donc y compris les fonctionnaires, cela ne doit pas permettre à l’administration de nous dénier le droit de défendre les fonctionnaires).

Ce dernier point est pour nous le plus important : un syndicat est une organisation de travailleur·ses, ceux/celles-ci s’organisent comme iels le souhaitent. Dès lors que nos statuts indiquent explicitement que la CNT défend et syndique les salarié•es quel que soit leur statut – et donc les fonctionnaires – il est incompréhensible de nous refuser le droit de nous présenter aux élections professionnelles. C’est d’autant plus absurde que nous sommes déjà reconnus par l’administration localement, et que 100% de nos adhérents sont fonctionnaires...

  • lundi 29 octobre, en milieu de journée : nous déposons un recours “en référé” contre cette décision au Tribunal Administratif de Caen (en courrier recommandé et par courriel)
  • lundi 29 octobre, dans l’après-midi : le greffe du Tribunal nous contacte pour nous informer que ce n’est pas une requête “en référé” qu’il fallait faire, mais une “requête en annulation de la décision”... • lundi 29 octobre, fin d’après-midi : envoi par courriel et par courrier de la requête corrigée.

Suite à notre recours, l’administration a produit un mémoire en défense, qui ne nous a pas semblé convainquant, en ce qu’il ne répondait pas à nos objections principales.

  • mardi 13 novembre, 11h : audience du Tribunal administratif de Caen.

Nous savions avant l’audience que nos chances de succès étaient très faibles (le rapporteur public s’étant prononcé pour le rejet de notre requête). Cependant, les deux responsables de la liste CNT ont tenu à assister à cette audience, et ont pris une demi-journée de congé pour cela. En revanche, personne ne s’est déplacé pour représenter l’administration. En séance, le rapporteur public n’a pas du tout suivi les arguments produits par l’administration pour sa défense. Ainsi, il a précisé que pour être reconnu comme "syndicat de fonctionnaires", il ne fallait pas avoir "exclusivement" pour but de défendre les fonctionnaires. En revanche, nous apprenons en séance qu’il a demandé au tribunal de se prononcer non sur la validité de la décision de refus, mais sur la validité de la candidature elle-même. Ainsi, tous nos arguments de forme tombaient... Ce qui signifie que même si le secrétaire général avait inscrit dans la notification : "Je refuse votre candidature parce que votre chat noir est un symbole du diable", cela n’aurait pas invalidé sa décision. C’est d’ailleurs un argument de cet ordre qu’a repris le rapporteur public pour nous débouter : nous ne respecterions pas les « valeurs républicaines »... C’est une objection qui a souvent été faite à la CNT, et à chaque fois la jurisprudence nous a été favorable [4]. Mais il semble que le Tribunal Administratif ne soit pas au courant de la jurisprudence...

  • mardi 13 novembre, fin d’après-midi : nous apprenons que le Tribunal administratif a rejeté notre requête.

Voici à présent où nous en sommes : nous attendons la notification officielle de la décision pour décider de la suite à donner à notre action. Le suspense reste entier : aurez-vous le droit de voter pour le "chat noir" à la Saint-Nicolas le 6 décembre prochain ?

Nous tenons à remercier les agent·es qui nous ont soutenu•es, en particulier celles et ceux qui ont souhaité se présenter sur la liste CNT-IN à nos côtés. Et si vous souhaitez vous-même nous adresser un soutien amical : n’hésitez pas à glisser un bulletin CNT dans l’urne !

Bien sûr, l’essentiel ne se joue pas au moment des élections, mais au quotidien, et dans les luttes. Lorsque le cirque électoral aura quitté la ville, que chacun·e aura obtenu sa petite place dans les divers comités, nous pourrons en discuter ensemble, et décider ensemble des actions à mener.

À très bientôt !

Informations et contacts : http://intra.ddt-61.i2/la-cnt-in-r1364.html Contact par messagerie électronique : cnt-in.syndicats.oh.ddt-61 i-carre.net

La section CNT EAL

Transmis par nos camarades de la CNT-IN-EAL le 21 novembre 2018

[1La direction départementale des Territoires (DDT) est un service déconcentré de l’État français créé en 2010 - ayant succédé aux services de l’équipement (DDE) et à ceux de l’agriculture (DDAF) -, et prenant la forme d’une direction départementale interministérielle placée sous l’autorité du préfet de département. Chaque département métropolitain comprend une direction départementale des territoires (DDT), ou une direction des territoires et de la mer (DDTM) s’il possède une façade maritime, soit 66 DDT et 26 DDTM en France métropolitaine. Son rôle est notamment de "promouvoir le développement durable, prévenir des risques naturels, mettre en œuvre des politiques d’aménagements du territoire, mettre en œuvre les politiques de la mer (pour les DDTM) ou délivrer des permis de construire".

[2Ainsi, la candidature du syndicat CNT-SUB à la DRIHL (équivalent de la DREAL en Ile-de-France) a été validée en 2014 et en 2018. Autre exemple : SUD Education dans les académies, et il en existe bien d’autres.

[3Ces détails peuvent paraître un peu fastidieux, mais il nous semble intéressant de raconter comment se déroule une telle procédure : chacun peut être amené un jour à saisir le tribunal administratif... Nous tenons à votre disposition tous les documents (requête, mémoires...).