Lettre d'information de la CNT en région parisienne
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Depuis une trentaine d’années, les gouvernements successifs ont organisé, avec la complicité du patronat, la dérégulation de l’économie et le démantèlement de tous les systèmes de sécurité sociale. Aujourd’hui, près de quatre embauches sur cinq se font sous des formes précaires. De ce fait, la vulnérabilité sociale née du détricotage du salariat, associée au délitement des liens sociaux et à l’effritement de la protection sociale, a donné naissance à la notion de précarité. La précarité est devenue l’horizon obligé des nouvelles générations qui entrent sur le marché du travail. Le maintien d’un niveau élevé de chômage et l’extension du spectre de la précarité devenant ainsi un puissant outil d’asservissement des salariés et de pression à la baisse des salaires et conditions de travail.
Les précarités c’est quoi ?
- les contrats précaires, de plus en plus nombreux dans le privé (CDD, intérim, stages, service civique, etc.) comme dans le public (contractuels, vacataires ou statuts spécifiques tels AED, AVS, CUI-CAE, etc.) ;
- les temps partiels imposés, notamment pour les femmes et dans certains secteurs comme le nettoyage, la restauration, l’animation ou la grande distribution ;
- la multiplication des « stages », notamment comme premier emploi après des études ou une formation, la plupart du temps non rémunérés (au bon vouloir de l’employeur malgré les lois applicables...), alors même que les stagiaires sont recrutés sur des fonctions ou missions bien souvent pérennes ;
- le chômage, de plus en plus massif et de moins en moins indemnisé, et les minima sociaux, que ce soit le RSA ou le minimum vieillesse (ASPA) ;
- l’autoentreprise et l’uberisation de la société, c’est- à-dire la transformation de tout salarié en micro- entreprise devant gérer son capital et ses « clients »... et s’autoexploiter ;
- le travail non déclaré, qui touche notamment les travailleurs étrangers venus des pays d’Europe les moins favorisés (travailleurs dits détachés) ainsi que les travailleurs sans papiers extra-européens ;
- enfin, n’oublions pas que le CDI reste précaire de par le lien de subordination à l’employeur qui le caractérise et qui permet au patron de licencier presque à l’envi (la seule condamnation étant alors une éventuelle indemnité financière prud’hommale) et de procéder au chantage à l’emploi ; de même le statut de fonctionnaire est de plus en plus remis en cause, notamment par la loi récente dite « mobilité » de 2009 qui permet le licenciement ;
- plus largement, on peut parler de précarité sociale et économique liée aux bas salaires et à ses conséquences, par exemple en matière de logement, d’accès aux soins, à la justice ou à la culture ;
les attaques récentes ou à venir...
Depuis quelques années, les « réformes » qui renforcent cette précarité se multiplient :
- attaques incessantes contre la sécurité sociale (chômage, maladie et retraite) qui génèrent de plus en plus de retraités pauvres, de baisse des allocations chômage, de radiations de demandeurs d’emploi et de réduction des droits à la santé ;
- la suppression massive de postes et des recrutements aux concours dans toutes les fonctions publiques (État, territoriale et hospitalière), remplacés par des contrats précaires, avec pour seul but de faire toujours plus d’économies. Ces personnels sont, par ailleurs, à l’issue de leurs contrats la plupart du temps remis sur le marché du travail sans avoir au préalable pu bénéficier de formations, main-d’œuvre malléable à moindre coût correspondant pourtant à de réels savoir-faire et à divers champs de métiers ;
- la loi travail n’entrouvre les minima sociaux aux jeunes qu’au prix d’obligations pesant sur eux ; elle permet à Pôle emploi de déduire directement les trop-perçus sur le compte des chômeurs ou de ne pas prendre en compte les déclarations tardives d’activité ; plus largement, cette loi renforce les pouvoirs du patronat en matière de temps partiel ou de flexibilisation du temps de travail (et donc de baisse des salaires effectifs) et facilite les licenciements économiques ;
- au cours des derniers mois, la baisse des APL, la suppression de la prime pour l’emploi, l’intensification des contrôles pour les chômeurs, les allocataires du RSA, les bénéficiaires de la CMU-C... Et la multiplication des sanctions et des radiations ;
- le rapport Sirugue sur la restructuration des minima sociaux annonce une baisse généralisée des allocations, et une reprise en main des allocataires à travers des programmes coercitifs d’insertion. La loi de finance 2017 pose les premières bases de ce programme : flicage des allocataires du RSA par les départements, nivellement par le bas des montants d’allocation. Pendant ce temps, la droite promet aux allocataires des carences de RSA, et du « bénévolat forcé ».
Dans le même temps, l’État multiplie les cadeaux au patronat avec, par exemple, les lois Macron ou le Pacte de responsabilité. Ainsi, le dispositif de prime à l’embauche pour les PME, prime de 4000 euros pour l’embauche d’un salarié, sous réserve que cela soit un bas salaire (pas plus de 1,3 fois le Smic), permet par exemple d’accroître la masse de travailleurs pauvres en concédant des embauches à bas salaires au motif d’une main-d’œuvre dite « peu qualifiée ». La « reprise » ainsi annoncée et la « baisse » des chiffres du chômage sont tout simplement l’indexation de la force de travail des salariés vers des emplois sous-payés, sans compter les radiations des chômeurs renvoyés vers d’autres dispositifs d’aides sociales comme le RSA, une fois arrivés en fin de droits.
Globalement, nous assistons au passage de l’État « social » à l’État « pénal » : d’un côté, l’État réduit les aides sociales et de l’autre, il développe et accroît la pénalisation voire l’incarcération de ceux qui subissent la précarité, et flexibilise le « marché du travail ». La mise en place de ce dispositif de contrôle généralisé de tous les instants de la vie est autant destinée à faire accepter l’inacceptable, la précarité de l’emploi et celle de la vie, qu’à brider toute possibilité de développement d’une vie et d’une créativité autonomes, c’est-à-dire extérieures au marché du travail, au capitalisme et à l’État.
Diviser pour mieux régner ?
Les gouvernements, de « gauche » comme de droite, n’ont de cesse de cibler les « assistés » et d’attaquer les droits sociaux acquis de longue lutte. En toile de fond le discours de division entre fonctionnaires et salariés du privé, entre « insiders » (CDI) et « outsiders » (CDD, stagiaires, etc.), entre travailleurs des grosses et petites entreprises, entre « français » et « immigrés », etc. Leur but : briser toute conscience de classe et créer des oppositions artificielles pour faire oublier que la ligne de fracture est bien entre patrons et État d’un côté et travailleurs de l’autre...
La précarité se caractérise par la violence des rapports sociaux. Pour les précarisables, la vie est un combat de tous les jours, pour ne pas devenir précaires. Pour les précarisés, un combat de tous les jours, pour ne pas être encore plus précarisés. Pour ceux qui sont encore dans le monde du travail, elle se manifeste par la souffrance au travail ou la peur de perdre son emploi ; et pour ceux qui en sont sortis, le stigmate que la société impose aux soit-disant « assistés » ou « inemployables ». Dans toutes ces situations, prévaut la sensation de ne pas avoir la maîtrise de son existence.
Et maintenant, que faire ?
à l’ère de la précarité, plus rien n’est acquis, au contraire, tout est fragile, chacun a le sentiment d’être vulnérable. Aucune place, aucun statut ne paraît définitif, tout peut changer du jour au lendemain.
L’individualisme, en même temps qu’il affranchissait l’individu de la communauté, l’a rendu plus fragile. L’individu est devenu « autonome » au prix de la vulnérabilité. Car il est faux de penser que l’individu tient par lui-même et pour lui-même : l’individualisme rend l’homme et sa vie vulnérables et donc précaires...
Pour notre organisation syndicale, s’il est important et essentiel de se rendre visible, au travers de manifestations, il l’est tout autant de se retrouver et de s’organiser collectivement en :
- refusant de se laisser diviser selon nos « statuts » ;
- recréant et renforçant des liens de solidarité contre l’individualisme libéral ;
- luttant pour des avancées sociales collectives et communes, dans nos branches comme dans l’ensemble de la société (sécurité sociale améliorée, titularisation des contrats précaires, fin des temps partiels imposés, augmentations des salaires, partage du temps de travail et des richesses, lutte contre les tendances autoritaires et sécuritaires de l’État, accès au logement, à la santé ou la culture, etc.).
Ceci ne peut passer, pour nous, que par une organisation syndicale de lutte de classe, autogestionnaire, non corporatiste et révolutionnaire, qui puisse agir lors des mouvements sociaux, certes, mais aussi quotidiennement sur nos lieux de travail, dans nos quartiers, dans nos villes. Il s’agit également de créer les conditions d’une véritable transformation de la société actuelle, pour enfin sortir du capitalisme et de l’exploitation salariale.