Copies adressées à :
Monsieur le Ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas,
Monsieur le Premier ministre, Manuel Valls,
Monsieur le Président de la République, François Hollande
Fait à Metz, le 23 avril 2016
Objet : Inquiétudes de la CNT suite au saccage de ses locaux syndicaux à Lille
Monsieur le Ministre,
Comme vous le savez, ce mercredi 20 avril à Lille, les forces de police ont pénétré dans les locaux de l’Union locale des syndicats CNT, dans le cadre, selon le procureur de la République, d’une procédure de flagrant délit visant à interpeller des individus accusés de violences lors de la manifestation qui s’est déroulée le même jour à Lille contre la loi Travail. Cette intervention, nous vous le rappelons, a suscité notamment le défonçage de la porte de nos locaux syndicaux, le saccage d’une partie de notre matériel syndical, ainsi qu’une fouille approfondie de nos locaux syndicaux.
Si nous condamnons avant tout la violence employée ce jour là par les forces de l’ordre dans le cadre d’une procédure dont la légitimité et la légalité restent à déterminer, les événements survenus ce 20 avril à Lille soulèvent de nombreuses interrogations qui relèvent directement de vos responsabilités au sein du gouvernement.
Tout d’abord, nous vous rappelons avec insistance que c’est bel et bien au sein d’un local syndical, légalement déclaré et constitué, que les forces de l’ordre sont intervenues, constituant ainsi une première en France dans un tel cadre. Nous ne pouvons que considérer le fait de défoncer la porte d’un local pour interpeller deux individus, qui n’ont opposé aucune résistance lors de leur arrestation, comme une volonté politique de réprimer et de terroriser les militants syndicalistes. Nous condamnons donc fermement cette intervention qui s’inscrit dans une longue liste de décisions politiques visant à criminaliser les organisations syndicales, ainsi que le mouvement social dans son ensemble. En effet, après les nombreuses violences policières avérées à l’encontre de manifestants pacifiques opposés à la loi Travail, après les nombreuses interpellations ciblées et condamnations de militants syndicaux ces dernières semaines, la répression à l’encontre des syndicats vient de franchir ce mercredi un nouveau seuil de gravité.
D’autre part, puisqu’il semble utile de vous le préciser, les locaux syndicaux constituent bien des lieux qui appartiennent à des travailleurs exerçant des libertés démocratiques afin de défendre leurs intérêts, matériels et moraux. Par conséquent le saccage du matériel syndical de la CNT par la police nationale constitue bien une dégradation directe et scandaleuse de l’outil autofinancé des salariés, de précaires, de chômeurs, ou encore de retraités, dont la précarité et la légitimité des luttes sociales n’est pas à démontrer.
Pire encore, nous tenons à vous indiquer qu’après l’interpellation des deux individus présumés innocents dans nos locaux, qui n’a duré que quelques instants, les forces de police ont longuement fouillé notre local syndical et cela sans la présence des représentants légaux de l’Union locale des syndicats CNT de Lille et sans témoins. Durant cette fouille, les policiers ont notamment eu accès à des documents confidentiels internes au syndicat ou relevant, entre autres, de procédures prud’homales concernant la défense de salariés face à leurs employeurs. Alors que de telles pratiques semblent bien éloignée de la procédure de flagrant délit invoquée par la procureur de la République de Lille, elles constituent une entrave inadmissible au libre exercice du syndicalisme et à l’indépendance de la justice.
Ainsi, au regard de la gravité de ces éléments et du caractère historique d’une telle intervention dans un contexte social tendu, nous nous interrogeons vivement. Les structures locales de la CNT, comme l’ensemble des organisations syndicales doivent-elles désormais s’inquiéter de voir les forces répressives de l’État pénétrer violemment dans leurs locaux au mépris de toute éthique démocratique ? Doivent-elles s’inquiéter de voir le libre exercice de leur activité et sa légalité être remis en question ? Au-delà, les travailleurs qui font le choix légitime de se syndiquer doivent-ils désormais craindre d’être fichés ou violentés lorsqu’ils se rendent dans les locaux d’une organisation syndicale dont le rôle est de les protéger ?
Quoi qu’il en soit, Monsieur le Ministre, soyez assurés que ni la répression policière, ni l’intimidation des travailleurs syndiqués, ni la criminalisation politique du mouvement social n’ébranleront la détermination de la Confédération nationale du travail à obtenir le retrait total de la loi Travail, à lutter contre la destruction méthodique des acquis sociaux et la précarité, et à obtenir la levée de l’état d’urgence qui favorise indéniablement un climat propice aux violences policières et à la répression du mouvement social dans son ensemble.
Ne doutant pas de votre attachement au respect des valeurs démocratiques et notamment au libre exercice des libertés syndicales, et alors que nous restons dans l’attente d’un positionnement public de votre part vis-à-vis de nos interrogations, veuillez recevoir nos plus sincères salutations anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires.
Pour la Confédération nationale du travail,
pour le Bureau confédéral,
le Secrétaire confédéral,
Aurélien E.