Huit mois ferme pour une main sur un bouclier
Huit mois ferme, c’est la condamnation dont a écopé IanB, militant de longue date, pour avoir dénoncé les violences policières et judiciaires.
Pour rappel, on lui doit d’avoir participé à la création du collectif « Désarmons-les !(1)», à la réalisation d’une brochure sur les armes et méthodes (légales ou constatées) des forces de répression (police et militaire) et comment s’en défendre (première version en 2012), plus récemment à la réalisation du film « À nos corps défendants » (2019), et sans oublier une forte implication dans les conférences et événements traitant de ces sujets aux quatre coins du pays, par exemple lors de notre Fête de L’Autogestion en mai 2019.
Il a été accusé de délit de groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations et un flic l’accuse également de violences physique et d’outrage.
Ce qui se présente initialement comme un énième abus de pouvoir policier s’est vite transformé en attaque judiciaire en règle pour tenter de bâillonner un militant qui se bat depuis de nombreuses années pour porter à la connaissance de la population les différentes armes et pratiques des forces de répression de l’état.
Plus qu’un long texte une vidéo de La mule du pape (2) (média local de Montpellier) est édifiante. Montée avec des images des observateurs et observatrices de la LDH, elle a été refusée lors de l’audience. Ceci en dit beaucoup sur la justice de ce pays, ou lorsque l’on refuse le droit à un accusé de se défendre.
Ian B a interjeté appel.
Nous n’oublions pas nos compagnons, et tous les anonymes des quartiers populaires qui subissent tous les jours les violences policières et judiciaires.
ni dieu ni maître, ni flics ni prisons
1- https://desarmons.net/
2-images de la manifestation filmées par la LDH Montpelier et montées et diffusées par La mule du pape (média indépendant de Montpellier):
https://www.youtube.com/watch?v=NfA8TSrdm10&feature=youtu.be
Pour récapituler les faits :
Samedi 28 Septembre 2019, IanB est invité pour le collectif « Désarmons-les ! » à participer à une conférence débat sur les armements et l’histoire du maintien de l’ordre, ainsi qu’à une rencontre des observatoires des violences policières.
Une manifestation ayant lieu à Montpellier pour l’acte 46 des Gilets Jaunes, il y participe.
La manifestation s’approche du centre commercial Polygone et souhaite y pénétrer, naturellement les vigiles refusent et font usage d’extincteurs pour asperger les manifestants. Sur ce, des policiers de la Compagnie d’Intervention 34 (CDI34) accourent et s’en prennent à toute personne présente, manifestante ou pas (cela se passe un samedi devant un centre commercial…) : interpellations au hasard à coup de boucliers, matraques et gaz au poivre.
C’est à ce moment que IanB interviendra, il le relate dans un texte publié le 1er Octobre 2019(1):
« Je […] conteste cette charge aléatoire et violente en prenant à partie les policier·es en ces termes : « Vous ne savez même pas qui vous avez pris, vous avez choppé quelqu’un au hasard, vous êtes des minables. Vous attrapez comme ça, vous ne savez rien. Vous arrivez, vous attrapez des gens », puis “Vas-y tu te calmes ! (à celui qui frappe de son bouclier). En droit, on est très loin de l’outrage. »
Les FDO (forces de l’ordre) repoussent brutalement les observateurs de la LDH. C’est en repoussant de la main un coup de bouclier envers une observatrice que IanB est accusé de violences, car peu de temps après il subit un plaquage au « sol » dans un bac à fleurs (composé de cactus soit dit en passant) par un agent de la CDI 34. Celui-ci est suivi de près par cinq de ses collègues dont deux l’assistent pour menotter Ian qui ne se débat pas (« nécessitant » donc étranglement avec son t-shirt et piétinement réglementaire…)
La mule du pape (media indépendant de Montpellier qui a également fait une vidéo2 de la manifestation à partir des images de la LDH) rapporte qu’une fois en garde à vue, le médecin constate sur IanB quatre ecchymoses, une abrasion du coude et de l’arête du nez.
Il a été retrouvé sur lui une grenade lacrymogène CM3 déjà percutée, déchet que Ian venait de ramasser et qu’il comptait présenter à la conférence à laquelle il devait participer le soir même. Ceci servira de prétexte pour caractériser la participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradation. Ian étant fiché S pour ses activités militantes, la DGSI est rapidement contactée.
À noter que 6 mois avant, Ian avait été l’objet d’une arrestation abusive et d’une intimidation de la part de la police et de la justice pour une accusation de « port d’arme prohibée de catégorie A » : également des restes de grenades lacrymogènes percutées et utilisées ainsi que des douilles de lanceurs lbd (relatée en détail ici (2))
Après 48h de GAV, IanB sort « libre » après acceptation de sa demande de renvoi (pour avoir le temps de préparer sa défense), mais sous contrôle judiciaire jusqu’au 28 octobre (date initialement prévue du procès mais qui est reportée au 3 décembre 2020, soit un an après).
Il y a trois autres inculpés suite à la manifestation, déferrés eux aussi lors de leur premier passage au tribunal :
« Sullivan et Joshua, les deux qui ont accepté d’être jugé le jour même, ont écopé de 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt assortis d’une interdiction de manifestation de 2 ans et de 6 mois de prison avec sursis assortis d’une interdiction du territoire français de 2 ans. Le troisième, Gilles, est envoyé en détention provisoire jusqu’à son procès le 28 octobre. Nous serons donc jugés le même jour.(3) » Finalement Gilles a obtenu un report d’audience le 3 décembre 2020.
Un an plus tard, IanB comparait devant un simulacre de tribunal (pléonasme?), pour avoir droit à un procès politique à charge.
« Ce jeudi 3 décembre au tribunal de Montpellier, Ian, membre de Désarmons-les, se faisait juger sur la base d’un faux en écriture publique réalisé par un agent des Compagnies départementales d’intervention, Jean-Charles Notolan. Ce dernier, après avoir maltraité une observatrice de la LDH au cours de la manifestation du 28 septembre 2019, en lui assénant des coups répétés de bouclier (affaire faisant l’objet d’une plainte IGPN de la part de ladite observatrice certificat médical à l’appui prouvant les hématomes), s’était plaint de violences imaginaires de la part de Ian, mais aussi d’outrage (il faut bien arrondir sa paie (4)), avant que ses collègues n’ajoutent un délit de groupement en vue de commettre des violences, prétextant la présence dans sa sacoche d’un résidu de grenade lacrymogène percutée.(5) »
Les bases d’accusation fallacieuses telles que violence, outrage et délit de groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ne tiennent pas une seconde pour qui connaît un tant soit peu les pratiques systémiques des forces de l’ordre.
Fausse déclaration, coups montés, ciblage des interpellation par rapport à l’implication politique, usage de la force de façon disproportionnée, « effet de corps » d’une profession assermentée qui couvre systématiquement tout abus de la part de ses membres, la liste est longue et non exhaustive, les exemples n’en sont que trop nombreux. Ian fera les frais de beaucoup d’entre eux dans cette machination judiciaire.
C’est un accusé que l’on méprise en plein tribunal « Parlez, mais que ça ne dure pas une demi-heure » a pu rétorquer Gisèle Bresdin, la présidente, lorsque Ian a voulu contester l’interprétation d’images de vidéo surveillance.
Un « esprit de corps » entre le tribunal et la police : « La présidente coupe Ian à plusieurs reprises et lui intime qu’elle refuse de l’entendre si c’est pour dire des choses qui ne correspondent pas à “la” réalité… Ian insiste pour qu’il puisse finir son témoignage au nom du contradictoire. Alors que l’avocat de Ian tente d’intervenir sur l’absence de preuves concrètes, la présidente Bresdin l’interrompt et refuse de visionner les images proposées par la défense.(6) » Sachant que les images tournées par les observatrices et observateurs de la LDH sont indiscutables par leur profusion et les angles de prise de vue.
Tout cela se solde par une augmentation des réquisitions du procureur : de 5 mois ferme avec aménagement, IanB écope finalement de 8 mois ferme sans mandat de dépôt, pour une paume de main sur un bouclier, un outrage non caractérisé (un « pute à Macron » dont Ian niera catégoriquement l’existence étant donné que l’insulte est « putophobe » et qu’il se refuse à utiliser ce genre de termes (7)) et 600 euros à verser à M. Jean-Charles Notolan, pour ses fausses déclarations.
En replaçant tout ceci dans une période où l’état tente de faire monter encore d’un cran la répression avec la proposition de loi relative à la sécurité globale, on mesure à peine les capacités que cette machine infernale obtiendra par la suite.
La police toute puissante et la justice de classe ont l’air d’avoir encore de beaux jours devant elles. Nous n’oublions pas toutes celles et ceux qui croupissent en prison et qui ont déjà vécu l’humiliation des procès de cet état haineux et revanchard, les inconnu.e.s qui ont dû faire face seul-es et n’ont pas eu la possibilité de soutien politique. Celles et ceux condamné.e.s parce qu’entre la voix d’un policier assermenté et la leur, la balance de la justice penche toujours inexorablement du même côté.
Ni dieu ni maître, ni flics ni prisons
ps : Selon La mule du pape, le 07 décembre 2020, Ian aurait interjeté l’appel.
Interview de IanB pour le Poing :
https://lepoing.net/ian-b-du-collectif-desarmons-les-condamne-a-montpellier-a-8-mois-ferme-entretien/
Brochure sur les armements du maintien de l’ordre :
https://desarmons.net/ressources/brochure-mo/
1 – Texte de IanB sur son arrestation du 28 septembre 2019 :
https://desarmons.net/2019/10/01/ianb-membre-de-desarmons-les-revient-sur-son-arrestation-a-montpellier-le-28-septembre-2019/
2 – Arrestation de IanB des 25 et 26 mars 2019 :
https://desarmons.net/2019/03/30/ianb-revient-plus-precisement-sur-son-arrestation-des-25-et-26-mars-2019-et-sur-une-partie-de-lacharnement-repressif-dont-il-fait-lobjet/
3- Texte de IanB sur son arrestation du 28 septembre 2019 :
https://desarmons.net/2019/10/01/ianb-membre-de-desarmons-les-revient-sur-son-arrestation-a-montpellier-le-28-septembre-2019/
4- Outrage et rébellion, un bon filon remis en cause :
https://paris-luttes.info/outrage-et-rebellion-un-bon-filon?lang=fr
5- Récit du procès du le site « Désarmons-les ! » :
https://desarmons.net/2020/12/04/communique-suite-a-la-condamnation-dun-membre-de-desarmons-les/
6- Récit du procès par La mule du pape, média indépendant de Montpellier :
https://www.lamuledupape.com/2020/12/07/violences-judiciaires-ian-b-8-mois-fermes-la-video-qui-demonte-la-procedure/
7- https://desarmons.net/2019/10/01/ianb-membre-de-desarmons-les-revient-sur-son-arrestation-a-montpellier-le-28-septembre-2019/