Archive pour la catégorie ‘Textes’

Cinéma et utopies

samedi 2 avril 2011

Dossier pdf à télécharger ici : http://www.cnt-f.org/video/images/stories/pdf/cinema-et-utopies-22sept2011.pdf

Dans ce dossier de 72 pages (mis à jour le 22 septembre 2011) figurent des films de tous les pays, de tous les types (documentaires ou fictions) en vidéo, super 8, 16 mm, 35 mm… Tous traitent des utopies, des dystopies, des uchronies, des espoirs et espérances. Le terme « utopie » est pris au sens large : écrits littéraires de toute sorte, microcosmes ou macrocosmes tentés ou réalisés, projets et idéaux… Il évoque aussi de manière plus fouillée toutes les diverses versions des utopies libertaires.

Ce dossier peut être complété par l’article sur le cinéma pendant la révolution espagnole de 1936 et par le dossier « Cinéma, monde ouvrier et syndicalisme ».

A lire aussi la filmographie sur l’altermondialisme réalisée par Wikipédia ainsi que la page de liens du site « Caméra au poing ».

 

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Un cinéma sous influence : les films de la révolution espagnole

jeudi 3 mars 2011

« Un cinéma sous influence » (2001, 52 mn), film documentaire de Richard Prost (réalisateur aussi d’ « Un autre futur »), retrace l’histoire d’une période à part dans le cinéma espagnol, celle qui va de 1936 à 1941 : d’un côté le cinéma des anarcho-syndicalistes — dont la production prolixe illustre l’intérêt qu’ils accordaient au pouvoir de l’image —, de l’autre, celui du camp franquiste.

A partir du 19 juillet 1936, en réaction au coup d’État mené par le général Franco, la CNT espagnole collectivise l’industrie du cinéma. Cette expérience, unique dans l’histoire du cinéma, a permis des expressions diversifiées, militantes, surréalistes, classiques, surprenantes, transgressant tabous et convenances sociales. En 1936 et 1937, sont ainsi produits et réalisés des films documentaires, des reportages sur le front et des fictions ancrées dans la réalité de l’époque (pas moins de deux cents documentaires et huit fictions). « Nosotros somos asi », « Aurora de esperanza », « Nuestro culpable » et « Barrios Bajos » sont des films tout à la fois critiques de la société capitaliste et destinés à un très large public. Grâce aux « Films du Village », les fictions de la CNT espagnole sont aujourd’hui sorties de l’oubli et témoignent du pouvoir des images dans un contexte de lutte révolutionnaire. Dès l’été 1937, la production anarcho-syndicaliste diminue, les communistes mettant fin aux collectivisations, dont celle de l’industrie cinématographique. Le cinéma devient plus didactique, la production concerne essentiellement les documentaires et les actualités. La victoire franquiste marquera la fin de l’élan novateur de la production cinématographique espagnole.

En octobre 2001, Christiane Passevant et Morgane du Liège ont réalisé un entretien avec Richard Prost au sujet de ce documentaire. L’entretien a été publié dans le n°142 de lla revue « L’Homme et la Société ». Il peut être téléchargé en cliquant sur le lien suivant : Les films de la révolution espagnole / Entretien avec Richard Prost (document pdf – 20 pages – 368 ko).

A propos des films sur la guerre d’Espagne et la révolution sociale de 1936, signalons également le dossier réalisé par Michel Antony : « Filmographie de la guerre d’Espagne et de la révolution espagnole (1936/1939) » (format pdf – mise à jour du 22/09/2011 – 72 pages – 1,49 Mo).

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« Charbons ardents » (film de Jean-Michel Carré)

mercredi 2 mars 2011

affiche-film-charbons-ardents-jean-michel-carreLes 4 et 5 février 2000, en partenariat avec le cinéma  « Le Méliès » de Villeneuve d’Ascq (Nord) et le cinéma « Les étoiles » de Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais), l’union régionale des syndicats CNT du Nord Pas-de-Calais a organisé la projection en avant-première de « Charbons ardents », film de Jean-Michel Carré.

« Charbons ardents » emmène le spectateur à la rencontre des 400 mineurs de Tower Colliery qui ont racheté leur mine en 1994 et l’autogèrent depuis cette date. Tower Colliery est la plus ancienne mine de charbon du Royaume-Uni (et peut-être du monde). Elle est située près du village de Hirwaun, au nord de la ville d’Aberdare dans la Cynon Valley (sud du Pays de
Galles).

Les mineurs de Tower Colliery sont pour la plupart des militants syndicaux qui menèrent les grandes luttes des années 1980 contre le « thatcherisme » triomphant. Par conséquent, c’est la perspective du chômage dans une région particulièrement sinistrée et non la volonté de créer un phalanstère qui motiva le rachat de la mine et son autogestion. Malgré sa particularité, la mine de Tower est une entreprise privée à but lucratif. Bien qu’autogérée par ses salariés actionnaires, elle l’est dans une optique de rendement et de profits. La division du travail y subsiste ainsi que les disparités salariales. Pour couronner le tout, les mineurs gallois ont reçu les éloges tant de la droite (qui voyait là l’application de son soit-disant « capitalisme populaire ») que de la gauche britannique (pour qui l’expérience était un moyen de dépasser la lutte des classes et permettait de flatter le peu qui leur restait de fibre socialiste).

Pourquoi alors la CNT du Nord Pas-de-Calais a-t-elle décidé de promouvoir une entreprise qui pourrait finalement faire la couverture d’un magazine patronal pour sa réussite économique, produisant du charbon sans subventions et le vendant au prix du marché mondial en restant compétitive ? La rencontre avec les mineurs, à l’issue de la projection, a permis d’aborder cette question. Promoteur de l’autogestion, la CNT est consciente des limitesde l’autogestion dans le cadre de la société capitaliste. Pourtant, l’expérience menée là-bas est d’une grande richesse et a le mérite de remettre au goût du jour la gestion ouvrière (avec – et le film ne le tait pas – la difficulté d’impliquer l’ensemble des travailleurs). De plus, les bénéfices sont investis dans l’amélioration des conditions de travail, dans les œuvres sociales de la région et dans des opérations de solidarité (avec les mouvements de chômeurs, antiracistes, antifascistes, etc.). Si la hiérarchie salariale y est maintenue, c’est de par la difficulté d’associer au projet le personnel qualifié et diplômé (ingénieurs, géologues, etc.).

charbons-ardents-cnt-lille-fev-2000-JM-Carre-Tyrone-O-SullivanMême si la CNT 59 / 62 ne va jusqu’à dire comme les mineurs : « Nous avons piégé le système capitaliste en appliquant ses règles à notre façon », elle souscrit aux propos du président de la mine, Tyrone O’Sullivan (qui était présent lors des deux projection-débats) : « Nous démontrons au monde entier que les ouvriers sont capables de prendre en mains leurs propres affaires et que le socialisme peut fonctionner ».

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« Germinal » : analyse du roman d’Emile Zola à l’occasion de la sortie du film de Claude Berri

mercredi 2 mars 2011

affiche-film-Germinal-de-Claude-BerriSeptembre 1993 – Depuis quelque temps s’étendent sur les murs des rues et routes du Nord Pas-de-Calais d’étranges affiches. Des hommes à l’air sombre et mécontent, arborant un maquillage que l’on croyait définitivement tombé en désuétude dans la région, cheminent avec détermination vers quelque mauvaise action. L’homme du commun, lecteur de revues et spectateur de son poste de télé, comprend vite qu’il est question d’un des derniers avatars cinématographiques de « Germinal », à savoir la version de Claude Berri. Il se rappelle qu’on en a fait grand cas dans la presse régionale (gros budget, grosses vedettes, grosse figuration) et qu’anciens mineurs et nouveaux chômeurs revêtirent l’habit d’obscurité des ancêtres dans ce triste simulacre. Il apprendra aussi que le Conseil régional du Nord Pas-de-Calais a voulu en racheter les décors à grand prix. La destruction (peu de temps auparavant et pour d’obscures affaires immobilières) de l’estaminet lillois où fut créée et chantée pour la première fois l’Internationale ne mobilisa pas tant d’énergie.

Vivant au « pays de Germinal », comme se plaisent encore à baptiser la région nombre de journalistes manquant d’imagination, le roman de Zola nous connaissons. Ce fut souvent le premier livre étudié en classe sous la direction de professeurs soucieux de faire connaître la condition ouvrière aux fils d’ouvriers. C’est ainsi que riches d’une lecture superficielle du roman et d’une imagerie du mineur mythifié (pour être encore plus souvent mystifié par les bons soins d’un PCF triomphant), nous finissions par trouver au parent ou voisin s’adonnant aux joies de la « fosse », l’air inquiétant du rédempteur social et du vengeur du prolétariat. Aujourd’hui, on ne peut relire cet admirateur de Fourier qu’était Zola sans une grande imitation.

Zola s’était déjà occupé des classes laborieuses et dangereuses dans un précédent ouvrage (L’Assommoir). Alors que les souvenirs de la « Commune » donnaient encore quelques suées fort salutaires aux nantis, il nous compose un roman dans le style « salauds de pauvres », style qui fera longtemps la fortune de toute une littérature droitière. II n’y a pas d’autre coupable à cette vie de miséreux que la fatalité héréditaire et l’alambic diabolique, nous démontre-t-il en sociologue inspiré. Le livre connut un grand succès, ce qui permettra à Zola d’élever quelques tours supplémentaires à son manoir de Medan. Quelques ingrats, venus des milieux révolutionnaires, n’ayant aucune reconnaissance pour le grand écrivain qui fit entrer le prolétariat au Panthéon de la grande littérature, l’accusèrent néanmoins d’avoir commis une mauvaise action.

Après quelques épisodes de son feuilleton, il revient à ses pauvres et entreprend « Germinal », livre ô combien ambitieux. Il le déclare lui même: « Le roman posera la question la plus importante du siècle, la lutte du Capital et du Travail ». L’homme se documente, se procure un grand nombre d’ouvrages, au style austère et rébarbatif, de théoriciens barbus et mauvais coucheurs. Il visitera les corons et descendra dans la mine. Y a-t-il « fait sa gaillette », comme tout bon président de la III° République ? La chose reste mystérieuse…

Que nous conte donc ce livre ? Nous nous abstiendrons de toute critique quant à sa valeur artistique ou documentaire, ceci n’étant pas notre profession, Zola étant lui-même un grand professionnel et n’ayant quant à nous que sympathie pour les bons travailleurs !

« Germinal » fut écrit en 1885, probablement sous l’influence des événements de Montceau-les-Mines, tant on y trouve d’analogies. Zola nous y fait le récit d’une grande grève sur un ton épique et souvent pathétique, tout en y faisant preuve (le brave homme !) d’apitoiement et de compassion pour ce peuple miséreux. Après quelques gammes naturalistes qui ne choquèrent que les bigots de son temps, il y campe les trois grands courants qui ont traversé à l’époque le mouvement ouvrier :  Rasseneur (le réformiste possibiliste), Souvarine (« l’anarchiste ») et Pluchart (l’internationaliste). Quant à Étienne Lantier, héros du récit, personnage voulu versatile et dont l’ambition nous sera révélée peu à peu, il se trouve influencé successivement par les trois mauvais larrons.

Et voyons d’abord Rasseneur qui figure le réformiste et emprunte beaucoup à Émile Basly que Zola rencontra durant son périple dans le bassin minier. « Cabaretier, ancien meneur licencié, sa maison prospérait; il s’enrichissait des colères qu’il avait peu à peu soufflées ». Jouant volontiers au pompier, s’opposant au durcissement du conflit et sabotant la réunion avec le délégué de l’Internationale, il jalouse Étienne pour sa fonction de leader du peuple mineur.

Autre figure, Souvarine « l’anarchiste », personnage à la pensée et au regard froids, plus noir que son fanion, s’attendrissant plus volontiers sur une lapine que sur le genre humain. Apologiste et finalement praticien de la « propagande par le fait », Souvarine pour qui « le brigand est le vrai héros, le vengeur populaire, le révolutionnaire en action » (Zola), n’a que mépris pour ce prolétariat qui n’est pas digne de sa grande mission historique (il ne quittera jamais son poste de travail pendant la grève). Il n’a de dévotion que pour une espèce de Dieu machiavélique et ténébreux (Bakounine !) dont il attend religieusement la prise de direction du mouvement international, prélude à l’apocalypse !! Personnage fort caricatural et dont l’ironie de l’Histoire voudra qu’Émile Henry s’en revendique explicitement. Ajoutons que Souvarine deviendra et cela jusqu’à nos jours, l’archétype de l’anarchiste dans le folklore national…

Enfin Pluchart, l’ancien ouvrier représentant de l’Internationale, le camériste du monde ouvrier, singeant le bourgeois, se déplaçant en voiture, ne cherchant qu’à placer son fond de commerce. Sa seule préoccupation est de vendre ses cartes d’adhésion et de quitter les lieux des futurs affrontements afin de poursuivre sa carrière politique parisienne.

On pourrait penser à propos de Zola : voilà l’homme de génie, précurseur de Makhaïski et de la critique libertaire ! Ne nous fait-il pas sentir à propos d’Étienne: « C’était un sentiment de supériorité qui le mettait à part de ses camarades, une exaltation de sa personne à mesure qu’il s’instruisait », et plus loin : « Il éprouvait cette répugnance, ce malaise de l’ouvrier sorti de sa classe, affiné par l’étude, travaillé par l’ambition ». Ne nous y trompons pas. Pour Zola, c’est le communisme qui est le vol, non la propriété ! Les grévistes en marche évoquent pour lui « la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient des mâchoires de loups, ouvertes pour mordre (…), la même cohue effroyable de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes ». Le comble est atteint quand il montre les femmes « toutes sanglantes dans le reflet d’incendie, suantes et échevelées de cette cuisine de sabbat » ou encore « agitées d’une fureur meurtrière, les dents et les ongles dehors, aboyant comme des chiennes ». Ces images sont celles de l’opposant farouche à la « Commune » quinze ans plus tôt ; de celui pour qui les barbares furent ceux qui détruisirent la colonne Vendôme et les Tuileries, et non ceux qui massacrèrent plus de 30 000 communards. Pour celui que les Alpes séparaient de Maurice Barrès (ce qui nous le rendrait plutôt sympathique), le bon ouvrier reste le Versaillais qu’il nous décrit dans « La Débâcle » : « La calme figure de paysan illettré, son respect de la propriété et son besoin d’ordre, le paysan sage désireux de paix pour que l’on recommençât à travailler, à gagner, l’âme même de la France, la vieille raison française, l’épargne, le travail ».

S’il y eut bien un Rasseneur et un Lantier dans le pays minier, les deux figures sont fortement inspirées d’Émile Basly. De Souvarine, il n’y eut point ! Un attentat fut bien commis en 1895 contre la personne d’Émile Vuillemin, mais qui de l’anarchiste ou de l’ouvrier licencié tira sur le directeur des mines d’Aniche ? Par contre, il y eut un Broutchoux et d’autres qui luttèrent
pour un syndicalisme réellement révolutionnaire…

Joao-Manuel (CNT – Lille), septembre 1993

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