Articles avec le tag ‘film’

Ken Loach, solidaire avec des salariés du nettoyage de Turin

vendredi 1 février 2013

Article extrait du Combat Syndicaliste de janvier 2013 :

ken-loach-article-du-combat-syndicaliste-cntEn novembre 2012, le réalisateur britannique Ken Loach a refusé le prix que voulait lui octroyer le Torino Film Festival (festival organisé du au par le Musée national du cinéma de Turin). Il a agi par solidarité avec des employés de l’entreprise « Rear », société externalisée chargée du nettoyage du musée. « Les travailleurs du musée étaient les moins bien payés […]. lls ont perdu leur boulot parce qu’ils s’opposaient à des réductions de salaires […]. Il est injuste que les plus pauvres payent pour une crise économique dont ils ne sont pas responsables […]. Comment pouvais-je ne pas répondre à une demande de solidarité de la part de travailleurs qui ont été licenciés pour avoir défendu leurs droits ? Accepter le prix en faisant juste quelques commentaires critiques aurait été faible et hypocrite » a écrit Ken Loach dans une lettre envoyée à la direction du festival. Le cinéaste a également expliqué sa décision en faisant le parallèle avec Bread and Roses (du pain et des roses), film qu’il a réalisé il y a douze ans et qui relate la lutte de deux employées d’une société de nettoyage aux États-Unis.

Gianni Amelio (réalisateur et directeur artistique du festival) et Ettore Scola (réalisateur et scénariste italien venu au festival pour recevoir un prix couronnant l’ensemble de sa carrière) ont eu des mots très durs à l’encontre de Ken Loach, traitant celui-ci d’ « idéologue obtus et narcissique ». Quant à Paolo Sorrentino (réalisateur et scénariste qui présidait le jury), il a évoqué un « retour aux divisions des années 1970 ».

Le 23 novembre, des salariés de l’entreprise « Rear » ont organisé une conférence de presse pour remercier Ken Loach de son acte de solidarité (à visionner ici en italien).

Le 6 décembre, dans le cadre d’un meeting organisé à Turin par l’USB (unione sindicale di base), Ken Loach a rencontré plusieurs de ces salariés. Le meeting a été suivi de la projection gratuite du film Bread and Roses et un débat a eu lieu sur les conditions d’exploitation et la souffrance des travailleurs externalisés et des travailleurs précaires (intervention de Ken Loach à visionner ici en anglais et en italien).

Pour en savoir plus sur Ken Loach et ses films :

1) Article de Wikipédia

2) Site officiel (en anglais)

3) Ken Loach en accès libre sur YouTube (sauf en France) :

Ken Loach a décidé de mettre plusieurs des films qu’il a réalisés en accès libre sur YouTube. Malheureusement, suite à des plaintes relatives aux droits d’auteur et de distribution, la plateforme française de YouTube – contrairement à la volonté de Ken Loach – a été obligée de bloquer l’accès à ces vidéos. A voir ici…

Enfin, profitons de cet article pour rappeler l’excellent film que Ken Loach a consacré en 1994 à l’Espagne anti-franquiste :

Bien que centré sur le personnage d’un communiste anglais parti en 1936 combattre en Espagne contre le fascisme, le film « Land and Freedom » n’occulte pas la place très importante occupée par la CNT espagnole à cette époque. Scène centrale du film, la question de la collectivisation des terres est posée. Quant au rôle des staliniens dans la militarisation des milices et dans les événements de mai 37 (reprise de Barcelone par les républicains hostiles à la révolution sociale), il est clairement condamné. Pour visionner la bande-annonce du film et lire l’article que lui consacre Wikipédia,  cliquer ici.

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Au prix du gaz

jeudi 31 janvier 2013

Article extrait du Combat Syndicaliste de janvier 2012 :

affiche-du-film-au-prix-du-gazÉté 2009. Châtellerault. Les 366 ouvriers de l’usine de sous-traitance automobile New Fabris occupent leur usine depuis le 16 juin, date de la mise en liquidation judiciaire de l’entreprise. Leur revendication : l’obtention d’une indemnité de licenciement de 30 000 euros par ouvrier de la part de leurs principaux clients, PSA et Renault. Le 12 juillet, Guy Eyermann, délégué CGT et secrétaire du CE, prévient : « Les bouteilles de gaz sont dans l’usine. Tout est prévu pour que ça saute ». À ce message s’ajoute un ultimatum : en l’absence d’accord le 31 juillet, l’usine sautera. Karel Pairemaure, qui vit non loin de là, prend sa caméra et part à la rencontre des ouvriers en lutte. Il vient de restituer cette « plongée au cœur de la lutte ouvrière » sous la forme d’un documentaire intitulé « Au prix du gaz » (85 minutes).

Les frères Eugène et Quentin Fabris arrivent un jour d’Italie et sont embauchés à la manufacture d’armes de Châtellerault, la « Manu ». C’est cette usine qui construisit le célèbre fusil Lebel, « capable à 100 mètres de traverser trois corps humains sans perdre d’efficacité ». S’il devint célèbre dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale, il fut avant tout utilisé contre les ouvriers de Fourmies, dans le Nord, le 1er mai 1891, quand 300 soldats tirèrent sur la foule qui revendiquait la journée de huit heures et la hausse des salaires. Les frères Fabris réussissent et fondent leur atelier en 1947. Fabriquant tout d’abord des pièces de machines à coudre, les commanditaires et la production se diversifient avec le temps. Au début des années 1990, l’entreprise emploie autour de 800 ouvriers. C’est alors que l’usine est léguée aux fils respectifs des fondateurs, ce qui marquera le début de la fin : le choix est fait de privilégier les seuls gros commanditaires et de spécialiser la production. Fabris devient New Fabris et se convertit en sous-traitant de Renault et Peugeot-Citroën. La structure familiale devient parallèlement internationale et dès lors, la finance prédomine. Dès 2007, des difficultés apparaissent. En 2008, l’entreprise est rachetée pour un euro symbolique par un groupe italien, Zen. Après plusieurs plans de licenciement, il ne reste déjà plus que 380 salariés. Le 16 juin 2009, l’entreprise est mise en liquidation judiciaire. Les ouvriers occupent leur usine. Comme le fait remarquer Jean-Pierre Levaray, longuement interviewé dans le documentaire, ils ne se battent pas pour le maintien de leur emploi mais pour obtenir une indemnité de licenciement digne de ce nom. Une évolution qui en dit long sur la perception et le ressenti du travail… La société étant liquidée, il n’y a
plus de patron. Donc pas d’interlocuteur. C’est finalement le ministre de l’Industrie qui négociera.

Le documentaire donne la parole aux ouvriers en lutte mais épingle aussi l’attitude des médias, arrivés en masse à l’annonce du 12 juillet, pas avant. Les journalistes s’installent à proximité immédiate de l’usine, interrogent, filment, restituent leurs papiers à leurs rédactions, parfois sous l’œil des ouvriers qui font leur font part de leurs commentaires… Il est alors reproché aux ouvriers leur radicalité, leur violence, on les traite de fous et de terroristes… Rien, bien sûr, sur la violence systémique, sur celle du monde du travail, encore moins de réflexion sur l’évolution globale du secteur de l’industrie ou du monde ouvrier.

Le travail de Karel Pairemaure a le mérite de poser tout cela et de suivre les New Fabris sur deux ans, donc bien après la fin de leur lutte. On voit ainsi ce qu’ils deviennent, différents parcours de « reconversion », avec toutes les embûches qui surviennent, la découverte parfois d’autres univers, l’enthousiasme soudain de découvrir une convivialité dans l’entreprise, puis le désenchantement quelques mois plus tard une fois digéré que celle-ci n’est que de façade.

Certaines scènes sont assez saisissantes, comme celle montrant d’anciens ouvriers de New Fabris marchant dans l’usine après la mise aux enchères du matériel : malgré le vide, ils persistent à emprunter le chemin dessiné au sol, comme si les machines étaient encore présentes. Comme des fantômes qui les hantent…

Au-delà de ce que dit ce documentaire, c’est une solidarité et une dignité sans faille qui sont dépeintes, et ces deux manifestations, à la fois concrètes et chargées d’émotions et de vécus, ne sont décidément pas vaines : comme le rappelle un New Fabris dans l’usine vide, bien après la lutte, aucun des salariés ne s’est suicidé.

Mari Otxandi, CNT Culture Aquitaine

> Site officiel du film
> Bande-annonce

Pour aller plus loin :
– Pierre Levaray, Putain d’usine, L’Insomniaque, 2002
– Pierre Levaray, Tue ton patron, Libertalia, 2010
– Jann-Marc Rouillan, Le Capital humain, L’Arganier, 2007

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Bande-annonce du film «Le grand retournement» de Gérard Mordillat

samedi 12 janvier 2013

Le grand retournement, film qui sortira en salle le 23 janvier 2013, est une comédie dramatique de Gérard Mordillat, romancier (auteur notamment de Vive la Sociale !, Les Vivants et les Morts, Rouge dans la brume), réalisateur de nombreux films et téléfilms dont Billy Ze Kick, Fucking Fernand, En compagnie d’Antonin Artaud, Les Vivants et les Morts.

Synopsis :

C’est la crise, la bourse dégringole, les banques sont au bord de la faillite, le crédit est mort, l’économie se meurt… Pour sauver leurs mises, les banquiers font appel à l’État. L’État haï est soudain le sauveur ! Les citoyens paieront pour que le système perdure, que les riches restent riches, les pauvres pauvres. Adapté de la pièce de Frédéric Lordon, cette histoire d’aujourd’hui se raconte en alexandrins classiques. C’est tragique comme du Racine, comique comme du Molière. Pour plus de précisions, voir les liens indiqués sous la fenêtre vidéo de la bande-annonce…

Bande-annonce :

Durée : 00:01:03

> Pour télécharger cette bande-annconce de 6 Mo, faire un clic droit sur ce lien

> Site officiel du film (contenant un entretien avec Gérard Mordillat)

> Dossier de presse (document pdf)

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Bande-annonce du film «Article 23»

vendredi 9 novembre 2012

À travers le récit d’une histoire largement inspirée de faits réels, Article 23 – film de Jean-Pierre Delépine qui sortira au cinéma le 12 décembre 2012 – interroge avec acuité la « valeur travail » et le drame du chômage. Avec l’humour du désespoir, il décape au vitriol la brutalité opérée par des cabinets de recrutements et les coulisses de ce métier si lucratif.

> Site officiel du film

> Page Facebook du film

Durée : 00:01:28

> Pour télécharger cette bande-annonce d’environ 5 Mo :
clic droit sur le lien puis « Enregistrer la cible du lien sous… »

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Critique du film « Avoir 20 ans dans les Aurès »

lundi 8 octobre 2012

Rene-Vautier-Avoir-20-ans-dans-les-AuresAvoir 20 ans dans les Aurès, film de René Vautier, reconnu aujourd’hui comme un témoignage historique d’importance sur la Guerre d’Algérie, ressort en salle, 40 ans après son tournage et sa diffusion, en 1972. C’est l’occasion pour Le Combat syndicaliste de diriger son projecteur sur ce film majeur de l’antimilitarisme.

De quoi s’agit-il ? En 1961, un groupe de copains, 20 ans, que l’on imagine aisément pré beatniks, surnommé « le commando des cheveux longs », bretons de surcroît (!), est appelé sous les drapeaux et envoyé en Algérie. Refusant l’imbécillité de l’armée, des ordres et de la guerre, ils sont isolés dans un camp, au milieu du désert, pour éviter que leurs attitudes ne contaminent le reste des troupes. Seulement, en temps de guerre, pas question de laisser de la chair à canon se la couler douce. L’armée envoie donc un lieutenant, vétéran de l’Indochine, prendre en main le groupe.

Emmené sur une zone de conflits, c’est la découverte du « feu », l’emballement. Puis vient l’attente d’une évacuation par hélicoptère, doublée du flottement suscité par l’épisode du Putsch des Généraux, occasion d’un huis clos, de discussions de groupe comme de retours sur soi-même. Puis c’est le rapatriement au camp, le retour à une « certaine civilisation », celle de l’armée, de la hiérarchie, des ordres et de la boucherie.

Il s’agit d’un film psychologique, il s’agit d’un film sur les appelés, il s’agit d’un film sur la dynamique de groupe, au cœur d’un de ses plus puissants révélateurs : la barbarie de la violence.

René Vautier, militant communiste, particulièrement engagé dans les luttes pour la décolonisation (comme bon nombre de militants communistes alors que le parti, lui, après avoir longuement soutenu la colonisation, ne se rangera à cet avis que très tardivement), avait, déjà dans les années 50 et 60, gagné une solide réputation de documentariste de talent et de combat. Films interdits par la censure et condamnation à la prison jalonnent son parcours de cinéaste. Avoir 20 ans dans les Aurès, qui est une fiction, lui vaudra, notamment, d’être reconnu, aujourd’hui, comme l’un des grands réalisateurs français. Ce film a été tourné à la suite d’un impressionnant travail d’enquête comptabilisant pas moins de 800 heures de témoignages de 600 appelés ou rappelés dans l’armée française en Algérie. Ce travail lui permet d’affirmer que « la véracité de chaque scène de ce film peut être certifiée par un minimum de 5 témoins » ou quand la fiction dit et montre avec plus de force la réalité.

Ressortir ce film 40 ans après sa première diffusion et 50 ans après l’indépendance de l’Algérie a un intérêt historique certain, notamment après la fin du service militaire en France en 2001 (bien que l’obligatoire JAPD soit par bien des aspects toujours un endoctrinement militaire, mais c’est une autre histoire). Ce film a également un autre double intérêt : la dynamique de groupe et l’antimilitarisme.

Est-il besoin de s’étendre sur le premier aspect ? Un groupe de militants, un service d’ordre, un syndicat, une section syndicale, tout cela entraîne une dynamique. Ce film nous rappelle à quel point les événements peuvent modifier la vision que nous avons individuellement et en tant que groupe de ce qui nous entoure et des réponses à y apporter. Avoir 20 ans dans les Aurès est donc la narration d’une expérience qui devrait enrichir la réflexion de chacun quant a son propre comportement et au comportement du groupe auquel il adhère. Ce retour sur soi, sur nous, est toujours utile lorsque l’on prétend, notamment au sein de la CNT, construire dès à présent une nouvelle manière de vivre.

Le second aspect est l’antimilitarisme. L’intérêt des personnages de René Vautier est qu’ils ne se revendiquent pas d’une idéologie définie. Ils sont jeunes, ils ne veulent de mal à personne a priori, s’intéressent à la Bretagne et n’ont rien à voir avec l’Algérie. Ils agissent par bon sens et refus de la barbarie et non sous l’égide d’une doctrine. Le personnage Nono est celui qui va résister jusqu’au bout à l’embrigadement et à l’appel de la violence, mais de quoi est faite sa résistance ? Antimilitarisme, pacifisme, désobéissance ? Peut-être d’un peu tout cela. Il y a 17 ans, un des « papis espagnols de la rue des Vignoles », dont je ne citerais pas le nom puisqu’il n’est plus là pour me contredire, m’a livré cette phrase : « Le pacifisme n’a de sens que sous les balles ». Avoir 20 ans dans les Aurès pose la question, appelle à réflexion.

Si ce film est militant, si ce film doit être pour les militants, appelant à nous interroger sur nos pratiques et enrichissant nos réflexions, il est aussi un film tout public. Le ressortir en salles a donc son sens aujourd’hui et s’inscrit dans l’actualité, même si la numérisation et la restauration n’apportent, à mon sens, strictement rien, peut-être même abîmant un peu plus la bande son, les dialogues étant parfois, et malheureusement, peu audibles. À l’heure où un film comme Les Enfants de Belle Ville, d’Asghar Farhadi, réalisé en 2004 et diffusé en 2012, présente l’aberration de la loi du Talion (Iran), il est bon de l’enrichir par le film de Vautier qui met en exergue l’identique doctrine « œil pour œil, dent pour dent ». Comme quoi la barbarie n’est pas que là-bas, elle est aussi ici, en nous. Avoir 20 ans dans les Aurès est également intéressant à rapprocher de Punishment Park (1970, États-Unis) de Peter Watkins, et de la psychologie de groupe qu’il interroge. Le traitement de pellicule et les mêmes dominances de couleur se retrouvent d’ailleurs dans les deux films. Enfin, pour la manière de filmer, la position du réalisateur et les mouvements de caméra, à mi-chemin entre documentaire de terrain et fiction, on se rappellera les films de Raymond Depardon tournés au Tchad dans cette même période et à l’esthétique incroyablement proche.

Saluons le travail de la coopérative DHR pour cette excellente sortie en salle, guettez sur leur site les séances, programmez-le dans vos locaux et espérons une prochaine diffusion DVD.

Texte d’Alexandre Chenet (SIPM-RP)
publié dans Le Combat Syndicaliste d’octobre 2012

Avoir 20 ans dans les Aurès, scénario et réalisation de René Vautier avec, notamment, Alexandre Arcady, Hamid Djellouli, Philippe Léotard, Jacques Cancelier
et Jean-Michel Ribes, 96 min, distribution : DHR.

Et pour rappel, la bande dessinée chroniquée dans Le Combat Syndicaliste fin 2006, autour d’un film disparu de René Vautier, Un homme est mort de Kris et Étienne Davodeau.

Citations :

Général Jacques Pâris de la Bollardière : « Quant aux jeunes du contingent, dont on parle très peu, ils mettront longtemps à se remettre de cette guerre. Il m’arrive tous les jours d’en rencontrer, qui m’avouent avoir gardé un tenace et horrible souvenir de ce qu’on les a contraint de faire. »

Dialogue : « L’Indochine, c’est lui, là-haut, au ciel, qui l’a faite,
mais le 7e jour, au lieu de prendre du repos, il a fait l’Algérie. »

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